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Histoire d'une famille de Saissac ... les Carles (2ème partie)

Erick FANTIN Par Le 21/04/2019 0

Dans Gardons la mémoire intacte !


Histoire des carles
Notre histoire est un bien précieux,
malheureusement, le temps passant, elle s'oublie !

Nos bibliothèques ou nos vieilles malles, elles, sont de véritables trésors !

En témoigne ce document
trouvé sur une étagère de la BMS,
qui relate la vie d'une famille Saissagaise
aux origines Arfounsoles.

Son auteur y retrace,
de 1818 à 1990,
la vie, les us et coutumes, les joies et les peines
de ses ascendants.

Il a aimablement accepté que je vous fasse partager cette histoire.

Qu'il en soit ici remercié !


Page de garde

2e partie !


                Janvier 1881 approche, on est sous la 3éme République.
Jules Ferry a institué « l’école primaire gratuite, laïque et obligatoire ».
Les enfants vont devoir aller à l’école du village à partir de 6 ans,
ce qui ne leur convient guère car ils sont habitués

  • à courir les rues, les chemins dans la campagne environnante et les ravins où coulent des ruisseaux d’eau fraiche,
     
  • à flâner toute la journée  dans les champs ou 
     
  • à surveiller un petit troupeau de  chèvres et de moutons puisqu’ils se destinent,

comme leurs parents, tant qu’ils n’ont pas franchi l’adolescence, à ce travail qui leur laisse tout le temps de chasser les lapins ou les perdrix,
de pêcher les écrevisses ou les gougeons dans le béal,

  • à fabriquer des instruments de musique avec des roseaux, et à jouer de la flute ou de la « cabrette »,
    genre de cornemuse très prisée en ce temps là.

     

                Trois ans après leur installation dans la maison familiale, arrive le quatrième enfant, Firmin,
qui voit le jour le 18 janvier 1883 tandis que Joseph, le cinquième et dernier rejeton arrive le 26 mars 1885.

                La famille est au complet.
Le couple est fier d’élever une si belle progéniture de cinq beaux enfants qui assureront, par leurs mariages,
pendant des siècles et peut-être pour l’éternité la pérennité de la lignée des Carles dans ce joli village du Pays Occitan
d’où elle est issue depuis des temps immémoriaux.

                               Le père, la mère, s’échinent au travail : aux champs, à la vigne, au jardin potager et à la maison qui est enfin terminée.

                Ils l’ont bien « suée », ils l’ont bien méritée cette maison !

                Ce sera pour la famille le lieu où s’enracineront tous les descendants Carles, une maison solide,
accueillante, conçue pour durer des siècles entre les remparts de ce beau village médiéval encore protégé par ses tours, et son château féodal.

                Paul Antoine en a rêvé souvent, son rêve est devenu réalité.

Depuis la nuit des temps, ses ancêtres ont vécu en serfs dans des métairies, des campagnes, logés par leurs  patrons parfois des nobles, braves mais exigeants.

                Dans cette nouvelle maison, certes pas très grande mais suffisante en ces temps de vie difficile, tout ce petit monde va vivre heureux.

                On continue à travailler sur les terres de La Rouge, à passer des jours et parfois des nuits dans les champs, l’été, à la belle étoile. L’hiver, c’est au grenier, sans chauffage, sur des matelas de crin et sous d’épais édredons remplis de plumes d’oies qu’on dort à l’abri des intempéries.

                Quel luxe, quel confort par rapport aux remises poussiéreuses de La Rouge !

                Avoir un toit sur la tête et de quoi manger dans son assiette. Les rires et les cris de joie d’enfants en bonne santé, voilà le vrai bonheur.

                La famille devient membre à part entière de la communauté « Saissagaise ».

                Pour consolider cette adhésion, Paul Antoine et Victorine marient le 17 septembre 1895,
leur fille aînée Rosalie, à peine âgée de 19 ans, à Paul Cals un jeune homme du village, instruit, fils de tisserand,
âgé de 23 ans et possédant une boutique de coiffeur.
La jeune fille y travaille  comme assistante depuis quelque temps, à faire la barbe à ces messieurs les clients.
Elle fait également des ménages chez le docteur du village.

                Si la future et ses parents ne savent pas signer, il faut croire qu’elle  a d’autres qualités, de beauté et d’intelligence
puisqu’elle entre dans une famille de notables  à en juger par la qualité des personnes présentes à son mariage :
un « tisseur de draps » (Saissac est une capitale des drapiers de la région), un « tailleur d’habits » installé à Carcassonne,
un « propriétaire », et un jeune « boulanger » ami du couple.

                L’officier d’état civil qui les marie est le Vicomte Auguste d’André.
La jeune épouse, très dévote (puisqu’on trouvera une place assise à l’église du village
portant une plaquette en céramique avec l’inscription « Rosalie C »), quittera la maison paternelle mais pas le village
en allant vivre avec son jeune époux dans une maison proche dont il est propriétaire.
Ce dernier deviendra secrétaire de la mairie de Saissac. Poste qu’il occupera jusqu’à son décès en 1938.

                Hélas, un premier malheur survient le  4 novembre de la même année, peu de temps après ce beau mariage.
Marie-Louise, la deuxième fille de la famille meurt de  « la maladie  du bétail » à peine âgée de seize ans.
Elle est enterrée  dans une nouvelle concession acquise  à perpétuité  au cimetière de Saissac.

                Alors qu’elle comptait sept membres, la famille se retrouve à cinq.
La mère est seule à s’occuper de deux hommes et de deux adolescents, tous actifs et participant à la vie familiale
en lui donnant une bonne partie de leurs salaires.
A la fin de cette année 1895, Paul Antoine à 47 ans, Victorine  39 ans, Jeantil Victor 18 ans, Firmin 12 ans et Joseph  10 ans.
Les deux plus jeunes ont déjà quitté l’école où ils ont tout de même appris à lire et à écrire « malgré eux »

 

10 photo1Photo réalisée par un anglais, M Mitchelson qui se présente dans son sceau au dos de la photo
comme photographe et dentiste.
Elle date vraisemblablement d'avant 1895 puisque figurent (deuxième rang en partant du haut, deuxième et troisième personnes en partant de le droite)
Jeantil Carles (main gauche sur le coeur)
à côté de sa soeur Rosalie Carles.

 

               « Bouli pas anna a l’escoulo »,
pleuraient-ils chaque matin avant de partir pour l’école communale.  
Devenus grands et forts, les garçons travaillent soit comme berger, soit comme « brassier »,
louant leurs bras aux paysans propriétaires  ou aux artisans du pays.

                Jeantil Victor, l’aîné, est un beau jeune homme, intelligent, musicien,
excellent danseur et doté d’une belle voix de basse.
Il a appris tout seul à jouer de la cornemuse  (ou cabrette) pendant sa jeunesse alors qu’il surveillait les moutons aux champs.
L’expression bal musette vient d’ailleurs de cornemuse. Il faut savoir que cet instrument fit,
à Paris et partout en France la réputation et la fortune des joueurs de cabrette auvergnats et des jeunes gens des régions proches de l’Auvergne.
Cette mode dura jusqu’après la première guerre mondiale, quand l’accordéon arriva d’Italie et d’Allemagne et détrôna  la cornemuse.

                A son retour du service militaire qu’il effectue à La Turbie  et à Antibes au célèbre 112ème régiment d’infanterie,
Jeantil Victor quitte Saissac pour devenir charretier à Carcassonne.

 

4 gentil carles photo antibes  5 gentilcarles assis 2eme a gauche

               
Le 23 mai 1901, âgé de 24 ans, il épouse à Roullens,
village situé entre Carcassonne et Limoux, Elise Anguille née dans ce village  le 26 octobre 1881.
Il a probablement rencontré et séduit cette belle brune  aux  yeux  gris dans un bal musette qu’il anime régulièrement le dimanche.

                         Le jeune couple s’installe  à Carcassonne, au 33, route de Toulouse  quartier du pont d’Artigues,
car il apparaît rapidement impossible de  partager le logement de la mère d’Elise, Marie Vidal qui habite rue des Rames au quartier des Capucins.
Jeantil Victor a un bon métier, il est conducteur de ces grands chariots qui transportent d’énormes barriques de vin du Minervois
jusqu’au port de Carcassonne sur le canal du midi, près de la gare de chemin de fer.
Le vin du Minervois est ainsi transporté dans les ports maritimes de Bordeaux, de Sète, de Marseille
pour être vendu à des négociants qui les embarquent à destination des capitales étrangères.

                De l’union du jeune couple naît le « petit Paul », le 12 juillet 1902.
« Avec une maman de 21 ans et un père de 25 ans, j’avais le soutien le plus enviable pour un nouveau né. La santé étant toute notre fortune …»
écrira-t-il sur un petit carnet de souvenirs à l’âge de 84 ans.

                De son père, qu’il n’a pas vraiment connu, il écrira également
«  …illettré, et pour cause, il réussit à jouer de la cornemuse, instrument de l’époque, qui égayait la jeunesse des villages.
Il devait devenir le grand animateur (des bals) de Saissac, comme m’a raconté M.Raucoule,
vieux boucher de  son époque : « dans cette remise, face à la mairie, combien de couples ont dansé aux accords de la cornemuse de Jeantil Victor »

Rappelons que l’électricité n’est arrivée à la suite du gaz, qu’en 1914…

                Au grenier de la maison, 34 rue d’Autan, dans une vieille valise,
se trouvent les restes de la cornemuse. En ces années 1890 existaient, pour la jeunesse,
des divertissements peut-être plus seins que de nos jours.
Habillés de blanc, béret et ceinture rouge, ils descendaient des villages pour faire, à Carcassonne,
des démonstrations (de leurs talents) à l’occasion des fêtes.
Cela permettait les rencontres parmi cette jeunesse. C’est ainsi que mon père rencontra ma mère  … »

                Hélas, le 12 juillet 1904, le jour anniversaire des deux ans du petit Paul, Jeantil Victor,
employé dans l’entreprise de transport Blache située au  51, route de Toulouse  à  Carcassonne,
se tue accidentellement au cours d’un transport.
Ce matin là, il a la  responsabilité d’un convoi de trois chariots tirés par des équipages de 9 chevaux.
Après avoir roulé toute une nuit sur la route de Mazamet, dans une grande descente,
au pont des Agadons à Villegly, voulant assister un  des charretiers en difficulté pour ralentir son équipage,
il chute et est écrasé  par l’énorme  roue  d’un  des  chariots.
Son corps, brisé, est transporté dans la salle de la mairie du village par ses compagnons
puis dans la maison de ses parents à Saissac.
Jeantil Victor, une vie interrompue à l’âge de 27 ans, est inhumé là où se trouve sa jeune sœur,
dans la sépulture du cimetière de Saissac.
Son  épouse fait placer une croix de fonte noire sur sa tombe avec l’inscription
« ci-gît Jeantil Victor Carles décédé le 12 juillet 1904 ».

 

6 accident gentil carles

                Le bonheur de cette petite famille s’arrête définitivement ce jour là.

                Elise, 23 ans, doit se mettre au travail pour subvenir à ses besoins et à ceux de son enfant de deux ans.
Elle rejoint sa mère Marie Vidal  dans une usine de Carcassonne où l’on trie des chiffons usagés pour leur remploi.

                Le petit orphelin réalise quelques années plus tard son état d’enfant sans la protection d’un père.
Toute sa vie il se plaindra de l’absence de ce père.

                Trois ans après ce tragique accident, il devient impossible de vivre dans une seule pièce avec la grand-mère et un très bas salaire.
Cela oblige la jeune veuve à partir travailler à Toulouse pour un meilleur revenu comme femme de chambre  à l’hôtel du Donjon.
Elle emmène son enfant avec elle et, ne pouvant pas veiller sur lui, le place dans un orphelinat, rue Mondran,
cette même rue où, 55 ans plus tard, en 1964, je suivrai les cours  de l’Ecole Technique Aéronautique.

                Le petit Paul qui n’a que cinq ans, ne supporte pas l’orphelinat.
Il pleure des jours entiers. Peu de temps après, sa mère le retire de cet établissement et une vie d’instabilité 
commence pour lui, tantôt chez sa grand-mère à Carcassonne, tantôt à suivre sa mère dans les différents lieux où elle travaille.
C’est toutefois chez sa grand-mère qu’il passe le plus de temps au cours de son enfance et de son adolescence.

                A Carcassonne, il fréquente l’école primaire, jusqu’au certificat d’études et le cours supérieur
qui doit équivaloir à un bon niveau de quatrième des collèges.

                Des années plus tard, mon papa m’a appris les rudiments d’arithmétique,
les divisions ainsi que les « règles de trois ». J’en ai encore le souvenir.
J’ignore ce que l’on apprenait aux enfants des écoles en ces temps qui précédèrent la grande guerre de 14-18
mais j’ai conscience que les « hussards de la république », ces instituteurs d’autrefois, communiquaient aux enfants certaines valeurs oubliées aujourd’hui 
et étaient plus  crains et plus respectés par leurs élèves que ne le sont les maîtres d’aujourd’hui, tutoyés  par eux
et parfois rudoyés par leurs parents. Quand j’étais enfant mon père me paraissait posséder des connaissances illimitées.
Pendant la sieste, pour nous endormir mon frère et moi, il nous racontait des histoires passionnantes
qu’il  imaginait puisqu’il mettait en scène deux petits voisins de Carcassonne avec qui je jouais souvent
au 21 rive droite du canal où nous habitions pendant la dernière guerre.

                Mais cela est une autre histoire.

J’adorais  aussi la belle écriture de mon père que je n’ai jamais pu imiter…

                En novembre 1906, l’oncle Firmin Carles revient de Tunisie où il a effectué un service militaire de trois ans.
 

7 firmin carles en zouave 2
              

                En Août 1908, l’oncle Joseph Carles revient à son tour
de son service militaire effectué à Albi.

 

8 joseph carles
 

Joseph est célibataire mais Firmin va bientôt se marier.
Aussi la maison risque d’être trop petite pour tout ce monde.
Le Père, Paul-Antoine décide alors d’acheter la maison mitoyenne qui est en mauvais état.
Elle est également bâtie sur trois niveaux, rez-de-chaussée en terre battue,
premier étage et grenier sur plancher.
Dans le passé ces deux maisons ont du en faire une seule car on aperçoit, au grenier,
la trace d’une porte de communication.
Ces maisons sont très anciennes puisqu’elles se trouvent à l’intérieur des remparts qui enserrent le village.
Peut-être datent-elles du moyen-âge!     

Cette seconde maison couvre moins de surface habitable que celle des parents
mais conviendra bien pour le jeune couple.
A toutes deux, la surface au sol de l’ensemble représente 70m2 ce qui est considérable sur trois niveaux.

L’achat se réalise le 17 septembre 1908.
Dès l’année suivante, le père et les deux fils entreprennent, avec un maçon du village,
M.Albouze, les travaux d’amélioration  nécessaires à l’installation de Firmin et de sa jeune épouse.

 

                Petit Paul  a quatre ans et demi. Sa maman l’amène de temps en temps à Saissac pour déposer,
au cimetière, quelques fleurs sur la tombe de son papa et voir les grands parents.
Pendant qu’ils se recueillent en ce lieu, la maman raconte  à son fils quelques souvenirs de sa courte vie commune avec son jeune époux.
L’enfant écoute religieusement et, dans sa jeune mémoire, embellit l’image et le souvenir de son père disparu trop tôt.

                Pour « monter » depuis Carcassonne à Saissac, ils prennent la diligence.
L’autobus ni le chemin de fer n’existent encore.
Longtemps Petit Paul se souviendra qu’à l’un de ces voyages de 25km,
il demande à suivre la diligence, pédalant sur son premier petit vélo.
La maman, un peu inquiète, accepte de lui accorder ce caprice.
Petit Paul caracole en tête sans effort et précède la diligence qui peine.
Il s’arrête même plusieurs fois à l’attendre tellement les chevaux ont de mal à trainer ce lourd véhicule
dans la dure montée vers la Montagne Noire.

                L’enfant adore ce village. Il l’aimera toute sa vie au point d’être préoccupé jusqu’à sa mort
du devenir de la maison qu’il a héritée de son oncle Joseph.
Quelques années avant de quitter ce monde, il obtient d’un jeune homme proche de la famille,
charpentier de métier, la promesse qu’il refera la toiture.
Parole que Jean Louis tient et dont il me parle quand je lui fais part de mon intention de m’attaquer à cette tâche.
Il est d’ailleurs temps car cette toiture  et peut-être même la maison menacent de s’écrouler tellement les eaux de pluie la traversent.

                A l’occasion de ces rares visites, Petit Paul fait mieux connaissance avec sa famille paternelle.
Ses oncles l’emmènent aux champs où ils ont repris leur travail et lui racontent leur service militaire.
En trois ans, ils en ont accumulé des souvenirs, surtout l’oncle Firmin qui est allé  servir en Tunisie,
à Bizerte et est revenu  gradé, Zouave de première classe.

                Petit Paul fait également connaissance de l’oncle  Paul Cals, l’époux de sa tante Rosalie Carles.
L’oncle Cals est instruit, il est secrétaire de Mairie à Saissac tout en tenant un salon de coiffure.
Ce dernier impressionne petit Paul par l’immensité de ses connaissances.
Il lit beaucoup, écrit et donne des pages à écrire à l’enfant.
Il découvre sûrement en son jeune neveu d’évidentes qualités intellectuelles puisque,
ne pouvant avoir d’enfant lui-même avec son épouse, il propose à la mère de l’adopter.  
Proposition  qu’aussitôt elle repousse alors qu’elle s’apprête à le confier à sa propre mère totalement analphabète.

                Sur un agenda de 1909 ayant appartenu au couple Cals,
qu’il retrouve dans un vieux meuble de Saissac et qu’il utilise en 1971 pour y faire de nombreuses mentions,
Paul Carles fait part de ce souvenir dans les notes.

                La lecture d’un second agenda de l’année 1910 permet de découvrir la tenue des dépenses et recettes
de la famille Carles composée de quatre personnes :
Paul Antoine le père, Victorine la mère, les deux fils Firmin et Joseph. Ils travaillent  alors tous quatre,
chez le même employeur, M. Emile Danjard.

                La maison de Firmin est bientôt habitable.
Le jeune couple se marie, s’installe dans sa nouvelle demeure et une petite fille naît au bout de quelques mois.

                Tout ce beau monde vit heureux sans se douter que la Grande Guerre approche.

                Leur bonheur va être de courte durée…

...

Fin de la seconde partie.

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