Prisonniers de la neige + VIDEO

Erick FANTIN Par Le 15/12/2019 0

Dans Gardons la mémoire intacte !


Au coeur de la montagne noire

Alors que l'hiver va montrer le bout de son nez,
avec ses quelques jours de neige, 
souvenons-nous de ce qu'il en était il y a 39 ans !
C'était en 1981, toute une région paralysée...


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Article La Dépêche

Juste après Pennautier, tout près d'Aragon, la route est devenue torrent. Une eau glacée et boueuse dévale les pentes, sillon terreux traversant d'un seul trait la campagne noyée, torrent sillonnant par champs et par vignes aux allures de marécages. Plus haut, au-delà de Saint-Denis, en direction de Lacombe, la route est un « névé ». Givré. Infranchissable. Et toujours sous un rideau de pluie, épais, lame grisâtre sur un horizon blanchâtre.
Dans la Montagne Noire, à gauche, à droite, de-ci de-là, éparses, des fermes encore bloquées.
Des hommes, des femmes seules face à la neige, des familles entières à deux pas d'un village et si loin du monde, sans électricité, souvent sans eau, sans pain en tous cas. Peu à peu pourtant l'étau se desserre et se desserre en même temps l'angoisse, après trois jours vécus dans le froid, dans le noir, l’œil rivé sur le sillon d'un chasse-neige, l'espoir placé sur deux traces laissées par des pneus dans l'épaisse couche blanche.
Dans l'attente de quelqu'un venu d'ailleurs, dans l'attente de la première marque de solidarité. Innombrables points noirs sur la carte des sauveteurs, perdus dans des lieux difficilement accessibles. Privés de toute communication. 

A trois kilomètres de Saissac, M. et Mme Lerebours et leurs six enfants
sont «  captifs » depuis dimanche.
Avant hier le chasse- neige est bien passé mais le vent aussitôt en puissantes rafales a formé d'énormes congères.
Prisonniers à nouveau.
La cheminée et la cuisinière à bois sont bourrées jusqu'à la gueule
On tente de se réchauffer, on vit sur les réserves. On vit au rythme du temps.
Du lever du jour jusqu'à la tombée de la nuit on soigne le bétail,
quelque deux cents moutons logés dans la bergerie, quinze vaches abritées dans l'étable,
les autres animaux ayant trouvé refuge dans les bois avoisinants.
« Tout près de là nous dit Mme Lerebours, à le ferme Rocolaury,
la traite des quinze vaches a été effectuée à la main et on a dû jeter le lait.
Mais poursuit-elle, nous sommes bien esseulés ».

 

Campement de fortuneCampement de fortune

 

« IL N'EST PAS VENU... »

A deux pas de là, Béteille, une campagne où vivent deux familles et sur les terres, une résidence secondaire appartenant à M. Fargues,
Parisien par force mais dont le cœur, les attaches familiales sont là, près de Saissac.
Mardi à 9 heures du soir, M. Fargues et son neveu sont allés au village à pied.
Retour épouvantable. Fourbus, ils sont rentrés à minuit.
« Ça se passe tant bien que mal et plutôt mal que bien » nous dit M Fargues.
« On se demande, si c'est possible, de nos jours renchérit M. Cabanel, le fermier.
Tout hier, on a guetté le chasse-neige. En vain Si on avait été malades, comment aurions-nous fait ? »
Les forces se regroupent.
On se dégage comme on peut.
Pelles, balles de paille dans le coffre de la voiture, chaînes, on tente de forcer le passage.
M Fargues est furieux.
Il comprend certes le caractère exceptionnel de la situation, il replace ses problèmes personnels
dans un contexte dramatique pour tous.
« Purée saucisse pendant trois jours, dit-il avec le sourire, trot jours passés au guet près d'une fenêtre,
l'œil fixé sur un large virage. Viendra ? Viendra  pas le chasse-neige ?
Et il n'est pas venu ! II n'a pas pu bien sûr ».
Le nez collé à une autre fenêtre, à la lueur du dernier bout de chandelle,
Mme Cabanel a regardé au loin briller les lumières de la ville. Le voisin rentre :
« Tiens, nous ne sommes pas seuls, lance M Fargues. un brin ironique… » 
Il reproche certes le retard qui a, selon lui été pris dans les prises de décision mais essaie aussi de comprendre.
Marius, un voisin dégage la route avec son gros tracteur.
La solidarité se sera tissée sur place entre gens plongés dans la peine.
Elan commun dans un isolement commun.
Ici, comme ailleurs, on aura longtemps attendu, longtemps espéré en des secours,
convenons-en bien difficiles à se réaliser.
On aura vécu trois jours terribles, trois jours de captivité mais finalement,
l'espoir renait, le rancoeur s'estompe quelque peu. Comme cette satanée neige fondant doucettement. 


« C'EST LE MIDI» 

A peine plus bas, La Métairie Grande.
La porte de M. Mellier s'entrebaille. Surprise. Il y a de la lumière.
Ambiance chaude et feutrée, sonnerie de téléphone. Oui, mais, tout cela grâce à un groupe électrogène.
M. Mellier lui, est catastrophé.
Depuis lundi, il attend un camion de dix tonnes d'aliments bloqués à Villemagne.
Dans son immense poulailler, 10.000 poules pondeuses sont à la diète.
Dramatique. Lui, montagnard ne comprend pas :
"C'est bien le Midi s'exclame-t-il. J'ai donné coup de téléphone sur coup de téléphone. Rien. Quelle organisation.
Pensez, ajoute-t-il que le maire de Saint-Denis a mis une heure et demie pour descendre jusqu'ici.
Pour moi, c'est peut-être vingt millions de perdus. Les bêtes meurent de faim.
Elles picorent les oeufs". Sur un bahut, trois bouteilles de vitamines, seules denrées acheminées. Dérisoire. 
A Saissac, ajoute M. Mellier, on a fait venir du pain et du lait par hélicoptère
alors qu'à quelques pas, les éleveurs ont été obligés de jeter leur production.


Sous une avalanche d oeufs
Sous une avalanche d'oeufs

Durement frappé, M. Mellier réagit vivement, Lui aussi s'est senti délaissé.
Et pourtant il faut bien l'avouer les cas étaient si nombreux, la catastrophe si brutale que la réaction,
la coordination des secours se sont avérées bien périlleuses. 

Dans leur montagne en tous cas, paysans, rudes travailleurs, vivant à longueur d'année dans des lieux considérés comme « isolés » ont ressenti doublement cette soudaine captivité. Seuls bien souvent, ils ont lutté avec les moyens du bord, avec toute leur énergie, réduits finalement par la force des choses à ne compter que sur eux-mêmes. 

 

La vie au village par temps de neige - 1960

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